21 avr. 2009

SOMMES-NOUS EN TRAIN D’ENTRER DANS UN NEUROMONDE ?

Notre corps est maintenant « appareillé » pour agir à distance. Sommes-nous en train de muter ?

Commençons par laisser la parole à Michel Serres qui a écrit dans Hominescence :

« Nous construisons notre corps par l'intermédiaire des produits du corps, puisque les objets techniques appareillent de lui... Nous nous construisons nous-mêmes... De naturés, je veux dire plongés passifs dans une nature sans nous, nous devenons naturants, architectes et ouvriers actifs de cette nature... J'appelle exodarwinisme, ce mouvement original des organes vers des objets qui externalisent les moyens d'adaptation...

Dès le premier outil, nous n'avions plus le même monde que les animaux. Nous commencions la construction de notre propre maison qui remplace le monde...

Quand les signaux se propagent dans l'instant, les communications se détachent de leurs conditions d'espace et de temps : les lieux d'habitation n'en dépendront plus... Ces contraintes disparues, nous n'habiterons plus, non seulement dans le local, mais dans ces singularités de l'espace et du temps... Qui est mon prochain ? Qui appeler voisin, désormais ? ...

Mais surtout, le travail ne s'attache plus désormais à la longueur des bras ou au rayon d'action de machines simples, mais à des renseignements issus de banques dispersées dans l'Univers, mais consultables à ma console domestique... L'écriture contribua, de manière décisive, à créer les premières villes, assouplit et accéléra les échanges commerciaux grâce à la frappe des monnaies, donna leur essor aux sciences abstraites et à la pédagogie... Dès qu'à la Renaissance apparaît l'imprimerie première production à la chaîne et en série, les banques italiennes transforment les échanges commerciaux en Méditerranée, où les lettres de change remplacent la monnaie... Il faut nous attendre à des bouleversements et même à des ruptures d'une ampleur au moins équivalente à ceux qui ébranlèrent ces deux évènements du passé

Ainsi, l'essor des technologies de l'information – c'est-à-dire l'ensemble des technologies qui regroupent le téléphone, la radio, la télévision, l'informatique, et dernièrement les réseaux de données avec internet – viennent modifier en profondeur à la fois l'individu – dans sa capacité à entrer en relation avec les autres, à stocker et traiter de l'information – et les systèmes collectifs – dont les technologies de l'information peuvent décupler la puissance et l'efficacité de leurs « espaces de travail » –.

Avec la généralisation du haut débit et la convergence en cours, nous sommes en train de franchir une étape décisive.

Les structures humaines, les relations interpersonnelles se trouvent aussi modifiées, la proximité mentale venant compléter et parfois remplacer la proximité géographique et familiale.

Les entreprises, et singulièrement les plus grandes, sont en train d'en profiter pour gagner en efficacité et en performance, asseoir leur domination par rapport à un réseau qui les entoure.

La globalisation et la mondialisation, dont on a longtemps parlé, deviennent une réalité économique qui vient prendre de travers les États qui sont eux restés essentiellement géographiques et locaux.

La crise actuelle en est une des expressions.

Beaucoup de repères semblent ainsi se déplacer.

Tous ces changements sont-ils des accélérations des mouvements précédents ou sont-ils l'amorce de l'émergence d'un nouveau paradigme ? Sommes-nous en train de sortir d'une nouvelle caverne pour entrer dans un « Neuromonde » ?

20 avr. 2009

NON, LES FRANÇAIS NE SONT PAS LES PROPRIETAIRES DE LA FRANCE

Protectionnisme ne rime pas avec nationalisme, mais avec ouverture et échange. Plus de nationalisme n'apporterait que moins de protections réelles.

Je marche depuis plusieurs heures dans Pékin. Je laisse mes pas me guider au hasard. Je n'ai jamais trop aimé les guides, je n'aime pas que l'on me raconte les histoires avant que je ne les vive, je veux pouvoir rester surpris.
Quelle importance si je me trompe ou si je « manque » ce qu'il faut « absolument » avoir vu ? Comment pouvoir m'imprégner d'une situation si je ne fais pas d'abord le vide en moi ? Pour découvrir, il faut se penser comme un creux, un vide, une possibilité qui vont se trouver remplis des rencontres. Savoir lâcher-prise.
Donc je suis à Pékin – c'est mon 5ème séjour – et tout à coup, une évidence m'apparaît : l'absence de métissage, ou plus précisément l'absence ou la quasi-absence de personnes venant hors de la Chine. Quel contraste avec nos villes occidentales : Paris, Londres, Berlin, New-York ou Los-Angeles sont devenus des villes cosmopolites où toutes les origines se télescopent.
Là à Pékin, rien de tel. Je repense aussi à mes marches à Dakar, Delhi. Là-bas non plus, il n'y a pas le brassage de nos villes.
Je ressens notre métissage non pas comme un risque, mais comme une richesse et une porte ouverte vers de nouvelles intelligences et de nouvelles possibilités issues de ces mélanges. Notre force en Europe ou aux États-Unis vient de ce mélange. Une des grandes faiblesses de la Chine est sa « fermeture » relative qui limite sa créativité et sa capacité à évoluer dans le futur.
Mais, notre métissage ne sera porteur que si nous ne cantonnons pas « ceux qui viennent d'ailleurs » au ramassage de nos ordures, à la plonge ou à l'épluchage des légumes dans nos restaurants ou les travaux de force dans le bâtiment. Il ne sera pas non plus porteur si chaque communauté s'enferme dans des Chinatown, Little Italy ou « Ici 100% Français ».
Il suppose que nous acceptions l'autre et que nous ne le voyions pas comme le rival, celui qui vient prendre notre emploi – ici ou ailleurs –. L'autre est celui qui a une expérience différente, un regard nourri par son origine et sa culture, une énergie propre. L'autre est celui avec lequel ma pensée, ma compréhension du monde et mon imagination vont être décuplés.
J'entends tout autour de moi des discours de craintes et d'appel au protectionnisme. Mais derrière ce beau mot de « protectionnisme » – qui peut être contre les protections ? –, se cache l'hydre du nationalisme et de l'exclusion.
Vous voulez vraiment revenir au nationalisme ? Qu'allez-vous faire alors de tout notre métissage actuel ? Vous allez renvoyez les millions d'asiatiques présents en France ? Et ceux venus d'Afrique ? Ou vous préférez les mettre dans des camps pour nous protéger ? Vous croyez vraiment que cela va vous protéger ? C'est cela le protectionnisme ?
Ou comme dans des propositions récentes, vous voulez que l'on se protège des importations venant d'Asie ? Une taxe à l'entrée fonction de l'écart de coût salarial ? Un des intérêts d'une telle mesure serait de renforcer notre culture bureaucratique et de créer un nouveau corps de fonctionnaires pour gérer cette « usine à gaz ». Car, comment voulez-vous mesurer réellement cet écart ? De plus, la plupart des produits sont fabriqués en des endroits multiples. Quelle référence prendre alors ? Le lieu de l'assemblage final ? Mais si ce n'est pas l'étape où se crée le maximum de valeur ajoutée, est-ce la bonne idée ?
En admettant que l'on mette en place un tel système, comment imaginer que les autres continents ne vont pas faire de même ? Le risque de récession mondiale ne sera qu'accru, et celui d'une conflagration aussi…
Non vraiment, je ne crois pas que nationalisme rime avec protectionnisme. Nationalisme rime avec appauvrissement des plus faibles, perte de richesse pour l'humanité et guerre.
C'est l'acceptation du métissage et des connexions multiples qui peut permettre un vrai protectionnisme. Sur les bases de cette acceptation, on pourra réfléchir aux systèmes de protection nécessaire. Protectionnisme rime avec ouverture et échange.
Tout ceci ne peut pas se faire en un jour, un mois ou un an. Nous allons avoir devant nous des périodes troublées. Se réfugier dans le nationalisme ne fera qu'accroître les troubles et freiner le vrai protectionnisme.
Finalement, notre société, nos sociétés sont des corps vivants qui grandissent, évoluent et changent d'horizon.
Pour un être humain, le premier horizon n'est que celui du sein de sa mère et de la chaleur du regard de sa famille immédiate. Puis progressivement par étape, il va élargir son cercle initial et, à l'âge adulte, pouvoir s'hybrider avec le dehors.
Il en est de même pour nos sociétés. Elles sont nées dans des cavernes, ont ensuite grandi dans des villes et des nations. Elles doivent aujourd'hui s'émanciper, s'hybrider pour atteindre un nouveau stade d'intelligence collective.
Ce n'est pas parce que nous sommes nés en France que la France nous appartient. En tant que « Français d'origine », nous sommes porteurs d'une culture, d'un point de vue sur le monde et d'une histoire. Notre responsabilité est d'avoir le courage de nous ouvrir pour les hybrider avec celle des autres.


Sur ce même thème, lire :

17 avr. 2009

QUAND ON PEUT VOIR L’ABANDON DE L’AFRIQUE…

Le ballet des avions dessine notre activité

Qui penserait quand il est dans un avion que la trace de son mouvement peut être suivie depuis le ciel, agglomérée jusqu'à dessiner le rythme de l'activité de notre monde ?

Regardez cette vidéo : on y voit tout au long d'une journée le trafic aérien.

Tout commence avec la nuit sur l'Europe : seules l'Asie et l'Amérique sont réveillées. L'Europe est plongée dans le noir. Puis le soleil se levant, les avions arrivent transformant l'Europe en un brasier. L'Asie s'endort, L'Amérique aussi. Puis à leur tour, ils vont se réveiller.

Au-delà de la magie de l'image – on se sent comme assis dans un satellite qui observe la terre -, on voit la cruauté de l'abandon dans lesquels sont laissés l'Afrique – juste un peu d'animation en Afrique du Sud – et dans une moindre mesure l'Amérique du Sud. On voit aussi le poids de la Chine.

Ces points lumineux sont l'expression de nos connexions mutuelles, et de ceux qui ne font pas partie du « Club du Développement »…



16 avr. 2009

C’EST BEAU LA VIE… MAIS QUELLE PAGAILLE !

Nous ne sommes qu'un amas de désordres emboîtés

Les développements récents de la physique – notamment au travers de l'utilisation des lois du chaos – montrent que « l'irréversibilité devient un élément essentiel de la description de l'univers » (Ilya Prigogine dans « Les lois du chaos »).

Quel dommage ! Moi dont l'adolescence avait été peuplée de récits de science-fiction, moi qui avais rêvé si souvent autour du déplacement dans le temps, voilà le retour en arrière impossible « scientifiquement ». Déception. Finalement, je n'aurais jamais dû me mettre à rouvrir des livres de mathématiques et de physique…

Trop tard, le mal est fait ! Et comme il est précisément impossible de revenir en arrière, je vais devoir vivre avec…

Donc notre monde est fait d'irréversibilité, et le temps a une flèche : notre univers a défaut d'avoir un sens (voir mon article « Ciel, je suis né par hasard et pour rien ») a une direction.

Nous ne savons pas où nous allons, mais nous avançons inexorablement. Chaque photon émis lors du big-bang poursuit sa route au travers du cosmos (voir « A quoi pense un photon du big-bang qui voyage hors du temps ? »)

Autre enseignement de la physique contemporaine : l'instabilité est la règle, l'ordre et le désordre sont indissociables.

Disons, pour prendre une image, que nous faisons tous du vélo : dès que le vélo s'arrête, il tombe. Pas seulement, le vivant, mais chaque parcelle de matière même apparemment inerte fait du vélo. Quand on pense à l'effervescence des mouvements à l'échelle quantique, elle « pédale » même comme une folle !

Nous, vivants, nous sommes un emboitement de « vélos qui pédalent » : chacune particule de matière infinitésimale va de déséquilibre en déséquilibre ; chaque cellule est composée d'une multitude de particules qui entrent et sortent de la cellule ; chaque être vivant est un ensemble dynamique de cellules qui « collaborent » provisoirement, naissent et meurent sans cesse, « s'hybrident » constamment avec le « dehors ».

Et, cerise sur le gâteau, nous, les hommes – et les femmes aussi bien sûr ! , nous avons en plus un cerveau sophistiqué composé de milliards de neurones et d'un nombre quasi incalculable de connexions synaptiques (les connexions qui relient les neurones entre eux) et qui n'arrête pas d'intégrer de nouvelles informations, de recomposer ses interprétations passées et d'en construire de nouvelles.

Nous ne sommes donc qu'un gigantesque désordre, une pagaille qui ferait peur si nous pouvions la voir.

Et de tout cela, émerge notre conscience et notre conviction d'exister, c'est-à-dire une sensation de continuité et de responsabilité dans le temps : je suis celui que j'ai été et je me sens responsable de ce que j'ai fait. Tout notre système de pensée et de droit est fondé sur ce sentiment d'identité et de responsabilité.

Ainsi de ce fouillis indescriptible, nous sommes nés.

Et il y en a qui disent que « la vie n'est pas belle » !

15 avr. 2009

FIGARO CI, FIGARO LÀ : LA UNE DU 14 AVRIL !

En ce lendemain de week-end pascal, arrêt sur l'édition internet du Figaro

« La violence des bandes ne peut rester impunie » : Une précision initiale –probablement inutile, mais nécessaire à une bonne compréhension de cet article - : il s'agit des bandes organisés de délinquants qui sont visées. Ce qui m'interpelle n'est pas le fait que le Président ne veuille pas laisser impunie leur violence, mais c'est le choix de Christian Estrosi. Je sais que notre Président a un seul critère de choix : la compétence et l'adéquation entre la mission confiée et l'expérience de la personne choisie. Donc Christian Estrosi est un spécialiste des bandes et des banlieues. Or il est député-maire de Nice. Il y a donc dû y avoir ces temps derniers des développements de bandes organisées à Nice. Sont-ce des bandes qui ciblent des personnes âgées ? Ou alors ce seraient les personnes âgées qui se seraient mises en bandes ? Un remake contemporain des clubs de bridge version kung-fu ? Nous aurons probablement des précisions prochainement.

« Ces ministres qui veulent une promotion »
: Voilà un objectif louable et qui montre que l'on peut déjà être ministre et garder de l'ambition. Ceci suppose que l'on peut être promu, et que donc il y a une hiérarchie entre ministres. Je comprends bien que l'on a tout en haut les « grands ministères », on parle même de « superministère » dans l'article. Mais pour qu'un système de promotion fonctionne, il faut une hiérarchie beaucoup plus fine et précise. Elle doit donc exister. Pour le bon fonctionnement de notre démocratie et la clarté de nos institutions, ce classement devrait être rendu public. Ensuite, tout directeur des ressources humaines sait que les parcours professionnels ne s'improvisent pas : ils sont balisés et jalonnés d'évaluation et de formations complémentaires éventuelles. Vu la rigueur et le professionnalisme de notre président et de son staff élyséen, je ne doute pas que ceci existe. Donc merci aussi de nous expliquer comment on progresse au sein de la hiérarchie ministérielle, et aussi accessoirement de préciser qui est en charge de cette « gestion des cadres dirigeants » du gouvernement.

« Le Crédit Agricole attaque la Caisse d'épargne » : Bizarrement le sujet est présenté, là comme dans les autres média, comme un sujet purement technique, comme un acte de mauvaise volonté de la Caisse d'épargne. Et si c'était un réflexe de survie ? Et si la Caisse d'épargne n'avait simplement pas les moyens de perdre ces clients ? Pour ceux qui ont une « mémoire courte », je rappelle que la Caisse d'épargne a été fusionnée avec la Banque Populaire, que l'ensemble est dans une situation financière très critique notamment à cause de Natixis – et que vient d'être nommé à sa tête François Pérol, l'ex-secrétaire général de l'Élysée. La façon dont va évoluer ce dossier dans les jours à venir sera un signal de l'acceptation ou non en France des lois de la concurrence et du respect du droit…

« Séquestration des patrons : comment y faire face ? » : Voilà une vraie question : comment faire face à la montée de la violence qui se propage dans les relations sociales. Indicateur inquiétant des tensions croissantes. On s'attend à une approche de fonds et à une réflexion sur notre société. Et non ! Il s'agit en fait de l'émergence d'un nouveau marché : à défaut de savoir comment faire baisser la tension, apprenons à vivre avec et à la gérer. Des sociétés spécialisées proposent donc des formations ad-hoc. Génial ! Plus besoin d'éviter la montée des conflits, inutile de conserver une bonne qualité des relations sociales, vive l'affrontement et sachons nous battre avec classe et efficacité. J'espère que, dans ce kit de survie du patron séquestré, ces sociétés spécialisées ont bien prévu des stages commandos. Une occasion pour des anciens du GIGN de se trouver des jobs complémentaires.

« La droite tire à boulets rouges sur la gestion des villes roses » : Je ne pouvais pas laisser passer ce titre sans attirer l'attention de l'UMP sur l'absurdité d'une telle action. Comment ne pas voir que le tir de boulets rouges sur une couleur rose ne peut que renforcer le rose et le tirer vers le rouge. A moins que justement l'objectif ne soit de faire basculer les villes socialistes dans les bras de Besancenot et du parti communiste ? Attention toutefois aux dommages collatéraux : il est en effet bien connu que les couleurs ont tendance à éclabousser, voire à « baver ». Donc à trop tirer des boulets rouges, l'UMP pourrait rosir une bonne partie du paysage français…

« Les articles les + lus » : Intéressant ce classement qui donne une idée des préoccupations de lecteurs et de leur réaction à partir des titres proposés. Je sais que ce n'est l'esprit de ce top 5, mais je ne résiste pas au « plaisir » de la lecture transverse des 5 titres. D'abord, y-a-t-il un lien entre les pistes pour relancer l'emploi des jeunes et la promotion des ministres ? Est-ce que ce sont des jeunes ministres dont on parle et dont il s'agit de relancer l'emploi – ou l'employabilité pour reprendre cet affreux néologisme – ? Ou alors grâce à la promotion des ministres en place, on va dégager des places en bas de l'échelle ministérielle pour accepter des jeunes ? Ensuite de quoi parlent ces emails crapoteux qui agitent Westminster ? Est-ce un problème de promotion au sein du gouvernement britannique ? Ou un de ses membres serait-il impliqué dans l'enlèvement d'Élise ? Enfin, plus sérieusement, notons que, à part l'article sur l'emploi et les jeunes, les 4 autres articles traitent de sujets événementiels et spectaculaires…

14 avr. 2009

« RÉCRÉATION » MATHÉMATIQUE

3,141 592 653 ; 2,718 281 828 ; 4,669 201 609 ; 2,502 907 875… et ADN

Pouvez-vous arriver à imaginer le monde sans nombre ? Difficile non ? Depuis l'enfance, nous vivons dans un monde peuplé de chiffres et de nombres, et nous avons appris à tout compter.

Pourtant, ce simple mécanisme n'est pas si naturel que cela.

Pour compter, il faut d'abord distinguer, c'est-à-dire être capable de séparer : il y a un, deux, trois ou quatre objets devant moi. Chacun des objets est différent des autres et peut être identifié en tant que tel.

Il faut aussi dans le même temps réunir, c'est-à-dire définir que ces objets appartiennent à une même catégorie, distincte du reste du monde.

Par exemple, pour pouvoir dire qu'il y a 4 stylos sur mon bureau, il faut que je définisse le sens de la « catégorie stylo » de façon suffisamment précise pour que seuls ces 4 objets en fassent partie, mais aussi suffisamment floue pour que les 4 en fassent bien partie. En effet, aucun stylo – comme aucun objet réel – n'est vraiment semblable à un autre, et, pour les compter « ensemble », il faut que je les ai considérés comme semblables. Mais sur quelle base ? Il faut donc que j'ai défini un objet théorique et fictif que je vais appeler stylo, et qui aura des attributs permettant l'identification pour les 4 objets, et l'exclusion pour les autres. On peut donc parler d'un processus de normalisation : je définis une norme « stylo » qui va définir ce qui est et ce qui n'est pas « stylo ».

Ainsi toute manipulation de chiffres et tout dénombrement supposent une normalisation implicite et préalable, un passage du monde réel à un monde limite et théorique où des représentations sont à la fois distinguées et confondues : parmi tous les objets qui sont sur ma table, il n'y a que 4 objets appartenant à la catégorie stylo.

Tout ceci repose sur des conventions que nous avons tous apprises dans notre enfance. Inutile d'être capable de théoriser là-dessus – et heureusement ! – pour les appliquer.

Au-delà de ces nombres simples et directement accessibles par l'observation, existent des nombres cachés qui sous-tendent le fonctionnement de notre monde.

Le plus célèbre et connu de tous est le nombre π. Sa valeur – 3,141 592 653… – n'est pas directement accessible au quotidien, mais elle est inscrite dans la géométrie de notre monde : elle est le rapport entre la circonférence d'une cercle et son diamètre. Ainsi si π ne peut pas être « compté » comme on compte des stylos, il est constamment là. Simplement pour l'appréhender, il faut qu'à nouveau je passe par un processus de normalisation, c'est-à-dire de définition de deux objets théoriques, le « cercle » et le « diamètre ». Dans la réalité, je ne trouve jamais de cercle « parfait », ni de diamètre « exact ».

Autre nombre clé : e. Celui-là est moins connu, car il n'apparait que quand on se lance dans le calcul intégral ou dans les limites. Il est pourtant nécessaire à tout calcul physique, même simple. Sa valeur – 2,718 281 828… – est une autre constante-clé de notre monde. Pour la trouver, je dois passer par une limite – soit celle d'une série infinie, soit celle d'une intégrale –. Qui dit limite dit encore processus de normalisation.

Notre monde physique « classique » est donc structuré autour de ces constantes : nous comptons ce que nous voyons, et π et e sont comme les gardiens des lois.

Arrive maintenant la théorie du chaos. Sans entrer dans le détail – impossible dans un article, mais je développerai ce point dans mon prochain livre –, sachez que le chaos n'est pas le désordre absolu : comme l'écrit Stewart dans son livre « Dieu joue-t-il aux dés ? Ou les mathématiques du chaos », « Le chaos est un comportement sans loi entièrement gouverné par une loi ». Ou autrement dit, derrière le désordre apparent, se cache des lois qui le structurent : ordre et désordre sont indissociables. Notamment, à la limite, les structures sont auto-similaires, c'est-à-dire que, à l'intérieur de tout sous-ensemble, je peux retrouver la structure toute entière. Émergent alors deux nouvelles constantes qui structurent ce chaos : 4,669 201 609 et 2,502 907 875.

Ainsi notre monde est sous-tendu non seulement par π et e, mais aussi par des nombres mystérieux et cachés. A chaque fois, il s'agit de structurer des relations et d'organiser des passages : entre le cercle et la droite, entre une série et sa limite, entre des arborescences successives dans un tourbillon chaotique.

De cette matière inerte régie par ces lois, a émergé la vie. Or quelle est une des propriétés les plus troublantes du vivant ? C'est, grâce à l'ADN, la capacité d'une seule cellule à détenir toutes les informations nécessaires à la vie. Le vivant est lui-même « auto-similaire » : le tout est dans la partie. L'ADN est le code de passage d'une cellule à un être vivant, d'un être vivant à un autre.

Drôle de résonance entre tous ces codes cachés…

13 avr. 2009

I WILL KILL YOU IF I MUST, I WILL HELP YOU IF I CAN

Pour continuer cette promenade pascale dans l'univers de Cohen, écoutez le "sacrifice" d'Isaac vu depuis le point de vue d'Isaac

A quoi pouvait bien penser Isaac quand il montait sur la montagne, précédé par son père Abraham ?



Et aussi la version de Suzanne Vega, à écouter en cliquant sur la couverture du disque :

12 avr. 2009

I'VE SEEN YOUR FLAG ON THE MARBLE ARCH, LOVE IS NOT A VICTORY MARCH, IT'S A COLD AND IT'S A BROKEN HALLELUJAH

Pour prolonger le nouveau live de Cohen, une interprétation à écouter absolument... si ce n'est pas déjà fait !

Reprendre une chanson de Cohen est un art difficile qui a donné rarement de bons résultats. Cette version d'Hallelujah est un "miracle" de sensibilité et d'émotion porté par la voix déchirée de Jeff Buckley

11 avr. 2009

DEUX HEURES ET DEMI DE BALLADE...

Léonard Cohen est de retour dans un "Live in London"

27 chansons de Suzanne, Bird on a wire à The future, Democracy et plein d'autres.
Idéal pour découvrir Cohen, indispensable si on a déjà tout !




10 avr. 2009

DES PROCESSUS RIGIDES ENFERMENT PLUS LE CLIENT QU’ILS NE L’ÉCOUTENT

Pourquoi ne pas parier plus sur l'intelligence et le flou ?

Je reviens sur mon billet d'hier, « HISTOIRE DE HOT LINE ». Non pas parce que la suite s'est mal passée – au contraire, tout s'est effectivement déroulé sans problème ! –, mais parce que ce qui m'est arrivé est banal et symptomatique.

Finalement, une des sources principales du disfonctionnement a été la trop « expertise » de Canal + et Free. Ils ont manifestement analysés en détail les attentes des clients et en ont déduit des séquences types qui permettent « normalement » aux opérateurs d'apporter rapidement et efficacement la solution. En effet, ils ne cherchent pas à « maltraiter » leurs clients et ont compris que la performance du SAV était clé pour la fidélisation.

Simplement, ces constructions de scripts qui enferment les opérateurs dans des schémas rigides interdisent de prendre appui sur l'expertise du client et aussi sont inadaptés à une demande atypique. Certes ces démarches fermées permettent de former rapidement des agents et probablement de recruter des personnes peu qualifiées, mais est-ce vraiment l'optimum économique ?

Introduire du flou dans la démarche permettrait à la fois au client de pouvoir faire part de ses spécificités et à l'agent d'être en mode d'écoute et d'initiative. Le coût immédiat serait plus élevé, mais je ne crois pas que le coût complet le serait.

Vu client, on n'aurait aussi pas l'impression d'être enfermé dans un rouleau compresseur et de faire face à une machine vivante : avoir à donner 4 fois de suite son nom, numéro de téléphone…, « subir » les mêmes séquences au mot près ne mettent pas vraiment dans une attitude très positive !

On retrouve à nouveau ce besoin pour une entreprise de « lâcher prise » pour ne pas se laisser enfermer dans ses propres certitudes et se déconnecter du réel… (voir « POURQUOI L'ENTREPRISE DOIT APPRENDRE À FAIRE LE VIDE », « QUAND ON SE POSE UNE QUESTION QUI N'EXISTE PAS », « QUAND L'ENTREPRISE EST TROMPÉE PAR SA TROP GRANDE EXPERTISE »)

9 avr. 2009

HISTOIRE DE HOT LINE

Déménager est toujours une « aventure » à rebondissements.

Me voilà sorti des cartons, l'essentiel était en place. Depuis 48 heures, l'ADSL fonctionnait aussi. Restait à régler un problème relativement mineur lié à un transfert d'abonnement Canal +. Là, pas de chances : impossible de le traiter par moi-même, il m'a fallu appeler le service client.

J'ai composé le numéro et, surprise, dans un délai très raisonnable – 1 minute -, j'ai eu quelqu'un au téléphone.

« Bonjour, je m'appelle Danielle. Pouvez-vous me donner votre numéro d'abonné ? »

J'obtempérais volontiers.

« Pouvez-vous me donner votre nom ? »

Oui je pouvais. Donc, je lui ai donné.

« Pouvez-vous me confirmer votre numéro de téléphone ? »

Coup de chance, je pouvais aussi confirmer ce numéro.

« Et votre adresse email »

Là aussi, je l'avais. Mais, l'entretien avait commencé depuis une bonne minute, et elle ne s'était pas encore préoccupée de mon problème. Mais, il fallait bien qu'elle vérifie qui j'étais.

« Alors, Monsieur, quel est le problème ? »

En moi, un sourire est apparu : elle s'intéressait enfin à moi. Mon problème allait être résolu. Je lui expliquais en 2 mots que, suite à mon déménagement, mon abonnement TV ne fonctionnait plus.

« Pouvez-vous me donner votre nouvelle adresse ? »

Là encore j'avais la bonne réponse ! C'était mon jour de chance !

« Et vous avez un nouveau numéro de téléphone ? »

Oui et je l'avais.

« Bien, voilà, j'ai fait les modifications. Attendez 20 minutes. Et alors tout sera réglé. Avez-vous d'autres questions ? »

Je n'en avais pas. Quelle efficacité, pensai-je ! En quelques minutes, plus de problème. Illusion…

Une heure plus tard, malgré toutes mes tentatives, cela ne marchait toujours pas.

J'ai donc rappelé le service client. Réponse toujours plutôt rapide, environ 2 minutes cette fois.

« Bonjour, je m'appelle Paul. Pouvez-vous me donner votre numéro d'abonné ? »

Je l'ai donné encore plus vite que la première fois. La force d'un début d'entrainement.

« Pouvez-vous me donner votre nom ? »

Mais oui !

« Pouvez-vous me confirmer votre numéro de téléphone ? »

Bien sûr.

« Et votre adresse email »

Un énervement sourd et croissant montait en moi. Comme une impatience…

« Alors, Monsieur, quel est le problème ? »

Je lui ai expliqué mon problème et que je venais d'avoir un autre agent au téléphone.

« Et vous êtes bien resté tout le temps sur la même chaîne ? Parce que sinon, la mise à jour ne va pas se faire ? »

Aie, non, j'avais joué avec la télécommande, histoire de passer le temps. Je me sentis coupable et ai raccroché.

Je me suis assis sur mon canapé, ai allumé la télévision, pris une chaîne au hasard et suis allé faire autre chose. Deux heures plus tard, cela ne marchait toujours pas. J'ai redémarré le décodeur. Sans succès.

J'ai rappelé le service client. 2 minutes 22 secondes plus tard, on a répondu (comme je commençais à prendre conscience que ma « relation » avec ce service client risquait de s'installer dans la durée, j'avais décidé d'archiver précisément ce qui se passait…).

« Bonjour, je m'appelle Jacques. Pouvez-vous me donner votre numéro d'abonné ? »

Bon, je vais raccourcir. J'ai eu droit à exactement la même séquence de questions avec les mêmes mots – évidemment ce n'est que la lecture d'un script – et presque le même accent – bravo la formation ! –. Finalement, on en est arrivé à mon problème.

« Mais, Monsieur, avez-vous débranché et rebranché votre décodeur ? »

« Non, je l'ai redémarré. »

« Ah oui, mais c'est très différent. Il faut que vous le débranchiez, puis rebranchez. Pouvez-vous le faire maintenant ? »

Oui je pouvais. Obéissant, mais sceptique, je l'ai fait.

« Maintenant allez sur l'écran de contrôle, choisissez notre logo et ouvrez la fenêtre. »

Je le fis et vis alors apparaître un message d'erreur.

« Ah bon, il y a donc un problème. »

J'avais comme l'impression d'avoir justement appelé pour cela. Après trois coups de fils, environ 15 minutes de discussion, 4 minutes d'attente avant décrochage et 2 heures de tentative sur la télévision, j'étais quand même content de sentir que la réalité de ma situation émergeait petit à petit au sein des processus de celui dont j'étais le client.

« Bien, ne quittez pas, je vous passe le service technique. »

Sa voix a été immédiatement remplacée par une sonnerie d'attente et, trente secondes plus tard, par un disque qui m'a informé que l'on ne pouvait pas donner suite à mon appel. Puis le vide. Se serait-elle débarrassée de moi ? Je n'ose pas y penser…

A ces moments-là, face à ce type d'adversité, les années de civilisation, de travail sur soi, de méditation ont tendance à s'évaporer et à faire place à une franche et brutale envie d'ouvrir la fenêtre et d'y précipiter télévision, téléphone et tout ce qui se trouve à proximité.

Je me suis ressaisi et ai recomposé le numéro du service client.

« Bonjour, je m'appelle Denise. Pouvez-vous me donner votre numéro d'abonné ? »

Et me voilà pour la 4ème fois à énoncer mon numéro d'abonné, mon nom, mon numéro de téléphone et mon email. J'ai bien essayé de sauter une étape, mais impossible : Denise avait un script et elle devait le respecter. Pas question d'aller plus vite.

Avec une courtoisie réduite au minimum – pour être franc, sans aucune en fait…–, je lui ai résumé la situation et tous les appels passés.

« Mais, est-ce que votre numéro de téléphone n'a pas changé à l'occasion du déménagement ? »

« Si, je l'ai d'ailleurs signalé lors de mon premier appel. »

« Dans ce cas, il faut modifier votre numéro chez nous aussi et Free, votre fournisseur d'ADSL, doit vous donner votre IFC. Appelez-les et recontactez-nous avec ce numéro. »

Je sens qu'elle est dans le vrai, mais pourquoi ne pas me l'avoir dit dès le début.

Je ne vais pas vous raconter en détail la suite. En résumé, après 3 appels au service client de Free – le plaisir d'entendre de nouvelles voix et d'autres scripts – et un recours à l'assistance par chat, je n'ai toujours pas ce nouveau numéro, mais ce serait en bonne voie. Normalement dans la journée de demain, ce devrait être fait. A suivre, donc…

Comme quoi quand on veut définir a priori la réalité, quand on en déduit des scripts détaillés, que l'on demande à des agents de les suivre à la lettre, on n'écoute plus et on cherche à faire entrer le problème réel dans la situation théorique. Si l'on avait pris un peu plus le temps de prendre appui sur mon analyse du problème, j'ai comme l'impression que des deux côtés, celui des fournisseurs et celui du client – tout le monde aurait été gagnant. J'aurai eu ma solution plus vite et ce sans avoir à payer pour tous ces appels surtaxés. Les fournisseurs pourraient diminuer les effectifs alloués aux centres d'appel, ou les allouer à de vrais services clients !

PS : Je n'ai vraiment absolument pas caricaturé ce qui s'est passé et l'ai même simplifié et résumé…

8 avr. 2009

NOTRE LIBERTÉ EST GRAVÉE DANS LA TABLE DES LOIS DU VIVANT

Conditionnement, parole, complexité, liberté… et Dieu

Dimanche matin, comme très souvent, je regardais sur France 2, la série des émissions religieuses. Moment le plus souvent très intéressant de découverte ou approfondissement de religions que je connais peu ou pas. Je recommande particulièrement les émissions sur le bouddhisme, le judaïsme et la religion musulmane. Une bonne façon de se réveiller en douceur le dimanche matin – surtout si on a une télévision dans sa chambre ! –.

Dimanche dernier donc, Judaïca était consacrée à une discussion, à l'occasion de la Pâques juive, sur Moïse, et plus particulièrement sur « la parole et la liberté ». Au cours de cet échange entre deux rabbins – Josy Eisenberg et Raphael Sadin -, les propos suivant ont été tenus :

« La matière n'existe que parce qu'elle a une finalité, elle n'est pas en soi productrice de la vie. Quelqu'un qui vit dans une vision du monde matérialiste, il est forcément le produit de quoi ? De sa famille, de la parole sociale, il ne peut pas être libre dans la mesure où il n'est que le résultat de pressions, il est conditionné. Alors que si on croit qu'il y a une partie dans l'homme, une partie dans la destinée de l'homme qui est plus originelle que ses parents même ou que la société dans lequel il vit, il y a donc quelque chose à dévoiler qui est plus originel que tout et qui le rend libre, absolument libre…

C'est cela, la source de la liberté. La source de la liberté est dans la parole…

La liberté est très liée aux commandements de Dieu… La loi serait donnée comme liberté. Comment cela se fait ? La loi d'acier « Tu ne tueras point, tu ne voleras point », où est la liberté ici ? La notion même de gravure est quelque chose qui ne va pas bien avec l'idée de liberté. Donc l'idée de liberté est tout à fait étrange, donner comme idée de la liberté des lois d'acier gravées dans le marbre… La gravure, le texte et le corps ne font qu'un. La liberté donnée par la loi, c'est quand le peuple juif a compris que la loi, c'était l'essence de la vie, que la loi n'était pas une loi imposée comme Paul pouvait le penser, que c'est une loi extérieure qui nous est imposée, le fardeau de la loi, le joug de la loi… Quand il y a écrit « Tu ne tueras point », ce n'est pas un ordre « Tu ne tueras point », un homme digne d'être homme est incapable de tuer. Je suis un homme constitué par l'incapacité de tuer.»

On retrouve là un des débats-clé que j'ai eu suite à mes articles « Ciel, je suis né par hasard et pour rien » et « Apprenons à vivre sans Dieu(x) » : bon nombre font de l'existence de Dieu le préalable à l'existence d'une liberté individuelle de l'homme. Ils considèrent en effet, comme dans Judaïca, que, si nous sommes nés « par hasard », nous sommes prisonniers de notre histoire et sans liberté.

Sans entrer dans une polémique sans fin sur l'existence ou non de Dieu – elle est « par construction » indécidable –, je voudrais simplement m'arrêter sur ce point précis de la liberté individuelle.

Tout d'abord, je trouve quand même quelque peu paradoxal, et pour tout dire un brin dialectique, cette « utilisation » de Dieu comme source de la liberté individuelle. Car enfin, comment pourrions-nous en tant qu'hommes être plus libres avec un Dieu que sans ? Comment l'existence d'un Dieu pourrait-elle être source de liberté ? Est-ce que cela ne revient-il pas à faire de cette « croyance en la liberté » un autre acte de foi ? Car elle restera impossible à prouver ou à démontrer. En effet, « spontanément », l'existence de Dieu et donc d'une volonté transcendantale ayant un projet pour la matière et la vie est d'abord perçue comme venant restreindre le champ des possibles, et donc nos libertés. Il faut un « saut de foi » comme celui exprimé dans Judaïca – et que l'on retrouve dans d'autres religions –, pour inclure dans le projet divin celui de la liberté de l'homme. Double acte de foi donc.

Venons maintenant au lien fait entre « vision matérialiste » et conditionnement, donc absence de libertés. La réponse pour moi est à nouveau de façon involontaire dans ce même Judaïca. En effet, c'est bien la parole qui est la source de liberté et du libre arbitre pour l'homme. En effet cette parole humaine n'est possible que parce que notre cerveau a un niveau de complexité jamais atteint précédemment : c'est l'existence de plus de dix milliards de cellules dans le cerveau reliées et enchevêtrées via des réseaux de neurones qui a permis à la parole, au langage et par là à la capacité interprétative d'émerger.

Ce niveau d'hypercomplexité, pour reprendre l'expression d'Edgar Morin, fait de l'homme un système ouvert dont il est impossible à l'avance de prévoir l'évolution et les choix : nous sommes capables, à la différence des machines, de travailler à partir du flou et de l'imprécis, c'est-à-dire que nous agissons bien avant que notre comportement puisse être déduit de notre environnement et notre histoire. Ainsi le conditionnement, dans lequel nous inscrivons nos actes, n'est qu'une donnée parmi d'autres. En fait il ne s'agit pas d'un conditionnement, mais plus d'un faisceau de circonstances dans lesquelles viennent s'inscrire notre vie.

Ainsi, oui, sans parole, il ne peut y avoir de liberté. Mais cette parole n'a pas besoin d'être issue du souffle de Dieu pour nous apporter cette liberté.

Et cette caractéristique du vivant humain – l'imprévisibilité de nos choix – est inhérente à notre constitution, car elle est le fruit même de notre complexité. Cette « loi de la possibilité au libre-arbitre » n'est donc pas une loi extérieure, ou fournie par un Dieu. Elle est consubstantielle à la vie.

Eh donc, oui, notre liberté est gravée dans la table des lois du vivant !

7 avr. 2009

NOUS SOMMES TOUS DES GAZ CHAOTIQUES

Tous connectés, nous flottons et nous nous entrechoquons.

Chacun de mes pas, chacun de mes mouvements viennent de plus en plus télescoper mon voisin, cet autre que je ne connais pas.

Souvenir d'une discussion dans la campagne provençale, dans les années 80, où le chef de famille local trouvait que sa fille s'était « exilée » en s'éloignant de dix kilomètres. Alors il pouvait choisir celui qu'il ou elle rencontrait. Chacun était dans sa bulle, dans sa « caverne ». On pouvait vivre en oubliant les autres.

Aujourd'hui rien de tel. Nous sommes trop nombreux sur cette planète, nous sommes trop itinérants, nous voyageons trop pour nous penser les uns sans les autres. Que nous le voulions ou pas, nos villes sont devenues multiraciales, notre impact collectif dérègle le climat, la question des ressources en eau et en aliments de base se posent ou se reposent.

Et cet étranger – celui que je ne connais pas –, même s'il est physiquement distant de moi, je peux être connecté à lui au travers de mon organisation professionnelle – les entreprises sont des réseaux vivants qui créent et structurent des liens entre territoires et communautés –, ou au travers de réseaux privés grâce à Internet.

Finalement, si je voulais illustrer mon propos au travers d'une image, je dirai que nos sociétés sont passées d'un état solide à un état gazeux.

Je m'explique.

Par « état solide », je me réfère à ces structures anciennes où la place de chacun était, sauf exception, spatialement figée : j'allais mourir là où j'étais né. De plus les relations étaient des relations de proximité : comme dans un cristal, une molécule est contrainte par sa localisation et n'est en relation qu'avec celles qui lui sont contigües.

Par « état gazeux », je pense à ces nouveaux modes d'organisation et de relation beaucoup plus flous et incertains. Et aussi à ces relations aléatoires, faites des hasards des rencontres, des chocs entre des molécules libérées et flottantes. Cet état gazeux s'accompagne d'une sensation de chaos et d'incertitude, d'une forme d'entropie collective.

Mais n'est-ce pas le signe d'une forme de maturité où la forme – c'est-à-dire l'organisation et la structure – n'est plus le fruit d'une pensée a priori, mais le résultat des interactions collectives ?

Bien sûr, cela vient prendre de travers bon nombre de pensées politiques : classiquement, on imagine que c'est le centre – le président, le gouvernement, les institutions – qui doit définir le droit et les structures. Et si, dans le monde qui devient le nôtre, le rôle du politique était de plus en plus de trier parmi les structures émergentes, et non plus de les définir…

6 avr. 2009

SACHONS ÉVITER LE « CE N’EST PAS MOI, C’EST L’AUTRE » !

Savoir comprendre et respecter l'apport de l'autre

« Dans cette entreprise industrielle, il y avait une rivalité latente et classique entre la Direction Industrielle et les usines. Le rôle des membres de la Direction Industrielle était mal compris : ils étaient perçus comme imposant une politique technique sans tenir compte des contraintes opérationnelles. En simplifiant, l'usine avait tendance à penser que les demandes émanant des membres de la Direction Industrielle venaient perturber inutilement le bon fonctionnement local, dégradant ainsi sa performance. Symétriquement les membres de la Direction Industrielle pensaient que, lorsqu'une usine soulevait une objection, celle-ci n'était qu'une perte de temps et témoignait de sa mauvaise volonté : ils entraient alors en relation avec l'usine non pas pour comprendre l'origine de l'objection, mais pour, sans l'écouter, chercher à la convaincre de son erreur. Personne ne comprenait, ni ne respectait le rôle de l'autre. Ceci ne tournait pas au conflit car tout le monde était conscient de l'importance de la survie de l'entreprise et les usines savaient détenir le pouvoir in fine. Périodiquement, si le siège était jugé comme allant trop loin, les directeurs d'usine faisaient bloc et obtenaient un départ. Il était dans ce contexte impossible de lancer une confrontation efficace : une explicitation des rôles de chacun devait être faite au préalable.

Souvenir d'un plan qualité lancé dans une entreprise de transport. J'avais mené des réunions dans tous les services, et, chaque fois, j'entendais les mêmes messages : « Ah, si untel faisait mieux son travail, nous n'aurions pas tous ces problèmes. ». C'était le sport national : ne jamais parler de ce que l'on faisait soi, mais de ce que l'on aurait fait si on avait été à la place des autres. Dans un tel contexte, impossible aussi de développer une confrontation positive !

Aussi un préalable, complémentaire à celui d'avoir un objectif commun, est que chacun ait une vision claire de son rôle et de sa contribution propres, ainsi que le respect et la compréhension de ceux des autres : si l'un a un doute sur la compétence de son interlocuteur, alors la confrontation soit ne s'amorcera pas, soit tournera au conflit avec mise en cause de l'autre personne.

L'arrogance aussi est interdite. Elle peut signifier le mépris non seulement de l'autre, mais plus généralement de toute information venant contredire sa propre conviction : on ne discute plus pour comprendre mais pour convaincre. Or c'est bien pour comprendre et non pas pour convaincre que l'on doit se confronter, car c'est de la compréhension commune que naîtra la conviction commune. À nouveau, il est normal que les positions initiales divergent : le vrai consensus est le résultat du processus, non pas le point de départ.

L'attitude positive pour entrer en confrontation est d'être convaincu de ses arguments, sinon cela montrerait que l'on a mal mené son propre travail, mais tout en étant conscient des hypothèses que l'on a faites et en étant prêt à accepter leur remise en cause ou simplement leur enrichissement. »

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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

5 avr. 2009

ET SI DARK VADOR AVAIT ETE RATTRAPE PAR L'AMOUR

Pour les amateurs de Star Wars, une vidéo incontournable où l'on voit Dark Vador perdre tout contrôle face à une "Dark Vadorette" !

4 avr. 2009

POURQUOI ENSEIGNER ?

Eveiller ou formater ?

Témognage musical du Pink Floyd : Another brick in the wall

3 avr. 2009

PAUSE DEMENAGEMENT...

Changer d'endroit aide à changer de point de vue, et à maintenir "frais" son œil.

Fort de cette conviction, je viens de déménager. Rien de bien spectaculaire, un glissement du Marais vers la Bastille.
Occasion de jouer au jeu en deux temps du carton : le remplir et le vider. Mais alors que garder, où ranger, tiens ce truc-là, mais pourquoi j'ai cela, je le jette, et puis non, au fonds de ce tiroir, il ne gênera personne.

Aussi le jeu du "je démonte", "je remonte", avec dans les rôles-clés le tournevis et la perceuse.

Avec tout cela, pas facile de trouver le temps d'écrire un article... à part ces quelques lignes...

2 avr. 2009

NOUS ENTRONS DANS LE NEUROMONDE

Histoires de télescopages

« Un dimanche soir, gare de Montélimar, dans le Sud de la France, il est 17 h 10 et j'attends un TGV pour Paris qui doit arriver dans une dizaine de minutes. Je ne pense à rien de précis, et mon esprit surfe sur les conversations voisines. Mon attention est attirée par l'une d'elles : un petit groupe parle de l'évolution du parti communiste et de la montée en puissance des mouvements d'extrême gauche. Je comprends que ce sont des sympathisants. Brutalement, sans transition réelle, l'un d'eux change de sujet et dit d'une voix assurée : « Pour l'éducation de mes enfants, la seule chose que je leur demande à l'école, c'est d'apprendre l'anglais. Le reste pour moi n'est pas important : le français, les mathématiques, cela ne leur servira pas pour parler plus tard. Avec l'anglais, ils pourront voyager partout et se faire comprendre. Vraiment, c'est l'anglais qui compte ». Étonnante affirmation, surtout vu ses convictions politiques : plus besoin d'avoir quelque chose à dire, il suffirait de pouvoir parler. L'échange ne serait plus un moyen, mais une fin en soi…

Quelques jours plus tard, je déjeune à Paris avec un client. Il est de retour de deux semaines de vacances en Iran et me relate une soirée au cours de laquelle il a pu passer quelques heures avec des Iraniens.

« Mais comment avez-vous communiqué, lui demandai-je ? Ils parlaient anglais, français ?

– Non, ils ne parlaient ni français ni anglais, me répondit-il. Mais étrangement, on a réussi à se comprendre avec des gestes et des expressions ! »

Étonnant télescopage de ces deux anecdotes. Deux extrêmes : l'un qui privilégie le contenant au contenu et pense que, demain, l'important ne sera plus le fond ; l'autre qui, en l'absence de tout langage, suffisamment avide de comprendre les différences, arrive à échanger…

En repensant à cela, j'écoute la radio. Le débat porte sur le sujet récurrent de l'assimilation de nouvelles cultures en France : est-il normal ou non par exemple que des musulmans ne se conforment pas aux habitudes culturelles historiques françaises ? Témoignage d'une auditrice qui parle de la France comme si elle en était propriétaire, comme si le fait d'y être né lui donnait le droit d'en définir les conditions d'accès. L'animateur lui rappelle que certains musulmans sont nés en France comme elle. Elle n'en démord pas et fait appel à une sorte de droit de propriété historique : ceux qui sont arrivés récemment seraient moins légitimes qu'elle…

Voilà notre neuromonde : un monde fait de télescopages et parfois d'incompréhensions, un monde où les frontières s'abolissent, un monde dont certains voudraient lisser les différences, un monde face auquel les structures politiques géographiques sont souvent inadaptées.

Pourquoi neuromonde ? Parce que, grâce ou à cause des technologies de l'information, nous sommes de plus en plus interconnectés et que la neurobiologie est, me semble-t-il, une clé de lecture pertinente pour comprendre le fonctionnement nouveau de nos sociétés et de nos relations interpersonnelles. Ce n'est finalement que la prolongation et l'extension de l'analyse que je viens de faire au niveau des entreprises.

L'ampleur du sujet mériterait un livre à lui seul. Ce ne sera ici qu'une digression avec l'amorce de quelques questions… »

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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

1 avr. 2009

MANGÉS DE L’INTÉRIEUR

Ces statues sont des miroirs de nos sociétés

Un dimanche, je marchais Place des Vosges quand, dans la galerie de Medicis, j'ai aperçu les statues de Catalano.

Des statues étranges mangées de l'intérieur. Impression d'un effacement progressif.

Ces personnages sont aussi toujours en mouvement, un bagage ou un sac à la main.

Pourquoi marchent-ils ? Que fuient-ils ? Cherchent-ils à échapper à un cancer qui les ronge ? Y a-i-il un espoir dans ce mouvement ?

Je n'ai pas vraiment l'impression. Sensation plutôt d'une tension supplémentaire qui viendrait accélérer le processus de destruction. Peut-être en est-il même à l'origine. Peut-être ces personnages se vident d'un mouvement incessant.

Je vois dans tout cela comme une métaphore douloureuse de notre société d'aujourd'hui.

Nos sociétés sont comme mangées de l'intérieur par des évolutions qui leur échappent et dont elles sont en même temps à l'origine. Nous sommes pris dans un tourbillon chaotique qui nous emporte…