23 mai 2011

ALLER À L’ESSENTIEL, C’EST PRESQUE, À COUP SÛR, PASSER À CÔTÉ DE CE QUI PRÉCISÉMENT L'EST !

Comment savoir a priori ce qui est essentiel ?
« Mais, allez donc à l’essentiel ! », « Arrêtez de vous perdre dans les détails, vous perdez de vue l’essentiel. », « Je vous fais confiance, vous saurez aller à l’essentiel et nous dire ce qu’il en est la semaine prochaine »,…
Combien de fois n’ai-je pas entendu, sous une forme ou sous une autre, des apologies du « Aller à l’essentiel » ! Dans notre monde du zapping, toujours en train de courir, confondant vitesse et précipitation, nous n’avons plus de temps à consacrer qu’à l’essentiel. En dehors de lui, pas de salut !
Tout ceci est correct si l’on est face à une situation connue, s’il s’agit de résumer d’un rapport, ou de synthétiser des conclusions. Oui, bien sûr quand on doit faire le « pitch » d’un film, on doit aller à l’essentiel. Je n’ai aucun problème avec cela, bien au contraire.
Mais quand on est face à une situation nouvelle et inconnue, quand il s’agit de comprendre, quand on doit faire une analyse complexe pour identifier les causes d’un dysfonctionnement, comment pourrait-on aller à l’essentiel ? Comment distinguer a priori entre ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas ?
Dans ce cas, il est dangereux d’aller à l’essentiel, car, à ce stade, rien n’est essentiel et tout est détail. Pas moyen d’éviter de se laisser perdre pour avoir une chance de comprendre. Aller à l’essentiel, c’est presque, à coup sûr, passer à côté de ce qui est précisément essentiel !

20 mai 2011

SIMILITUDES ET DIFFÉRENCES EN CHANSON

Faire et refaire... 
Comme la compréhension passe par l'approfondissement des similitudes et des différences, pourquoi ne pas continuer la série commencée les vendredis derniers, des variations sur une même chanson ?
Pourquoi ne pas en profiter aussi pour une forme d'hommage à Alain Bashung ? 
Aucune raison, n'est-ce pas !

J'ai choisi 2 chansons : "Gaby oh Gaby" et "La nuit, je mens", avec une version chantée par Alain Bashung et d'autres interprétations







19 mai 2011

APPRENDRE À VOIR LES SITUATIONS TELLES QU’ELLES SONT… NI PLUS, NI MOINS

Les trois erreurs : question + sous-ensemble + essentiel
Comprendre suppose donc d’être intensément attentif… pour avoir une chance de trouver des truffes.
Pour cela, je vois trois « règles » essentielles :
1.      Ne pas commencer par poser des questions
Dès que vous posez la moindre question, vous n’êtes plus en attitude d’écoute et de compréhension, mais vous projetez votre vision de la situation. En effet, la question que vous posez vient de votre expérience et de votre connaissance préalable. Elle repose nécessairement sur un a priori issu de votre expertise actuelle et passée. Au lieu de poser des questions, il faut observer de la façon la plus neutre possible, sans jugement, sans point de vue. Juste regarder ce qui est là, intensément et dans le détail
2.   Accepter la complexité des situations et ne pas rationaliser les situations en les découpant artificiellement en problématiques indépendantes
Les fonctionnements des systèmes biologiques sont faits d’emboîtements et de juxtapositions multiples, de réunions et de séparations, d’ordre et de désordre. A vouloir simplifier trop vite une analyse, on va perdre des liaisons ou des effets essentiels.
3.      S’arrêter sur tout ce que l’on ne comprend pas, tout ce qui « sort de l’ordinaire », tout ce qui pose question
Une fois une telle anomalie repérée, il ne faut pas accepter de ne pas comprendre, mais au contraire poser ou se poser autant de « pourquoi ? » qu’il faudra. Ne jamais repartir en pensant : « Ce n’est pas important », du moins, pas tant que l’on n’a pas compris ce que cela signifiait. Finalement, tout problème est source d’un approfondissement de la compréhension.
Une autre façon serait de présenter quelles sont les trois principales erreurs à éviter : 
  • Poser des questions
  • Découper la situation en sous-ensembles
  • Aller à l’essentiel
Je vais revenir la semaine prochaine sur ces trois erreurs... en les prenant en ordre inverse...

18 mai 2011

TROUVER DES TRUFFES EST UNE AFFAIRE D’ATTENTION

On ne peut pas comprendre seulement en se promenant le nez en l’air…
Une fois le vide fait, une fois que l’on s’est préparé à observer une situation sans a priori, telle qu’elle est, pour pouvoir comprendre, comment arriver à comprendre vraiment une situation ?
Sur ce thème, en introduction du chapitre consacré à comment « être intensément intensif », j’écrivais dans les Mers de l’incertitude :
« Chercher des truffes, c’est voir un spectacle de prestidigitation. Au départ, il n’y a rien, juste des chênes, de la terre et quelques plantes éparses. Et puis quelques secondes après, grâce à l’odorat du chien et au talent de son maître, les truffes sont là. Comme un lapin sorti du chapeau !
Je pourrais marcher pendant des heures au milieu des chênes truffiers, même à quatre pattes, je n’en trouverais pas une. Et pourtant elles sont bien là, cachées dans le sol, à quelques centimètres de moi. Pour le chien, c’est facile, évident. Il détecte l’odeur, arrive à la repérer parmi le bruit ambiant et fonce sur la truffe. Quelques coups de pattes et il s’arrête.
La truffe n’attend que d’être révélée… par le bon passeur : celui qui sait repérer ses effluves et les distinguer des autres, celui qui sera aussi assez patient pour attendre le bon moment. Trop tôt : la truffe n’est pas mûre et ne sent pas, donc impossible de la trouver. Trop tard : elle aura pourri et sera sans intérêt. Trouver des truffes est une affaire d’attention, mais pas celle de l’attention superficielle de l’humain en train de marcher au milieu des arbres, il faut celle, intense, du chien qui se déplace lentement, le nez (sa truffe !) soit au ras du sol, soit aux aguets du moindre effluve porté par le vent.
Comme le disait Henri Poincaré dans Sciences et méthodes : « Ce que le vrai physicien seul sait voir, c’est le lien qui unit plusieurs faits dont l’analogie est profonde, mais cachée ». »
(à suivre)

17 mai 2011

ON NE PEUT PAS COMPRENDRE DANS LA PRÉCIPITATION

Faire le vide prend du temps…
J’ai terminé mon billet d’hier sur cette question : peut-on faire le vide dans l’urgence et dans la précipitation ?
La réponse est évidemment non. En effet si l’on ne dispose pas du temps suffisant : 
  • On ne pourra pas se consacrer d’abord à l’observation brute, on cherchera tout de suite des réponses à des questions,
  • On ne se décentrera pas, car cela demande un effort et du temps… apparemment perdu
  • On mobilisera tous les experts disponibles pour comprendre le plus vite possible
Bref, pour avoir une chance de faire le vide, il faut prendre son temps : comme l’a écrit Jean-Louis Servan-Schreiber(1), travailler sans recul « pour un canon, c’est un progrès. Pas pour un cerveau. »
Dans les Mers de l’incertitude, j’ai cité l’anecdote suivante :
« Dernièrement, un journaliste vedette a déclaré à la radio : « Entre mon rôle de rédacteur en chef de mon journal et d’éditorialiste, plus toutes les émissions auxquelles je participe, c’est bien simple, je n’ai plus cinq minutes de libre pour m’arrêter ». Il disait cela comme la preuve de sa performance et de son importance. Son interlocuteur en sembla d’ailleurs impressionné. En moi-même, je pensais : « Mais quand réfléchit-il ? Comment peut-il vraiment faire son métier d’éditorialiste et de journaliste en courant tout le temps de la sorte ? ». »
Un peu plus loin, j’y écrivais : 
« La question n’est pas d’aller vite dans l’absolu, mais d’adapter la vitesse à ce que l’on veut faire, d’ajuster rythme et durée. Une idée centrale est de comprendre l’interaction entre la durée d’observation et l’analyse que l’on peut mener : un corps observé sur une courte durée peut sembler solide, alors qu’il ne le sera plus au bout d’un certain d’observation. »
Est-ce à dire qu’il n’y a pas d’urgences et que l’on doit toujours prendre son temps ? Non, bien sûr ! Parfois, un individu ou un groupe d’individus se trouvent face à une situation d’urgence, positive ou négative. Le temps est alors à l’action et non plus à la compréhension. On ne peut alors que mobiliser ce que l’on a appris et compris, on ne peut plus comprendre en profondeur…
Mais quand on n’est pas dans l’urgence, quand on a pris le temps de se poser pour faire le vide, une fois le vide fait, comment arriver à comprendre vraiment une situation ?
(à suivre)
(1) Le Nouvel art du temps

16 mai 2011

FAIRE LE VIDE POUR SE DONNER UNE CHANCE DE COMPRENDRE

Comment pourrait-on comprendre si l’on sait déjà ?
Première étape pour accéder à la compréhension, et donc peut-être aux faits présents dans une situation donnée, il faut faire le vide pour regarder sans a priori.
Pourquoi est-ce un préalable incontournable ? Parce que, sinon, nous allons projeter, volontairement ou involontairement, sur la situation nos référentiels et nous allons la lire au travers de notre expérience.
Notre erreur de diagnostic peut alors nous être fatale, comme pour cette dinde dont je parlais dans mon livre, les Mers de l’incertitude :
« Vraiment c’est le rêve, pensait-elle. Je suis nourrie et logée, et je n’ai rien à faire. Une nourriture riche, abondante et variée. Un logement irréprochable, à l’abri de la pluie. Aucune pression, pas de bruit, pas de contraintes. Aucune raison de s’inquiéter. C’est la belle vie. » Le fermier qui regardait la dinde, pensait lui : « Plus que deux jours avant Noël. Il ne faut pas que je la regarde de trop, je pourrais m’attacher et ne plus pouvoir la tuer. »
Certes, notre erreur de diagnostic sera rarement et heureusement aussi lourde de conséquence…
Comment faire le vide ?
Je crois qu’il y a trois dimensions essentielles(1) :
  1. Se centrer d’abord sur l’observation : Dès que l’on approche une situation au travers d’un langage – notamment via des questions –, on projette sur elle son mode de raisonnement personnel. Seule l’observation brute, c’est-à-dire sans questions posées et sans grille d’analyse préalable, peut permettre d’accéder à la logique propre de la situation observée.
  2. Accepter  de ne pas être le centre du monde : Si l’on observe depuis l’endroit où l’on se trouve, on n’a qu’une vue partielle et partiale de la situation. Pour enrichir une observation, il faut se décentrer et voir depuis ailleurs (2).
  3. Mobiliser son expertise a posteriori et non pas a priori : Plus l’expertise d’un individu ou d’un groupe d’individus est grande, et paradoxalement plus elle risque de biaiser son analyse, car on cherche alors systématiquement, le plus souvent sans s’en rendre compte, à la lire au travers des cas connus. L’expertise doit permettre de comprendre ce que l’on a observé, mais ne doit pas être un filtre préalable.
Faire le vide, c’est bien et nécessaire, mais peut-on le faire dans la précipitation et l’urgence ?
(à suivre)
(1) Ces trois points sont détaillés dans mon livre, les Mers de l’incertitude, ce essentiellement dans le chapitre « Faire le vide »
(2) Michel Serres écrit dans le  Tiers Instruit : « En traversant la rivière, en se livrant tout nu à l’appartenance du rivage d’en face, il vient d’apprendre une tierce chose. L’autre côté, de nouvelles mœurs, une langue étrangère certes. (…) Car il n’y a pas d’apprentissage sans exposition, souvent dangereuse, à l’autre. Je ne saurai jamais plus qui je suis, d’où je viens, où je vais, par où passer. Je m’expose à autrui, aux étrangetés. »

13 mai 2011

EN MUSIQUE, TOUT EST TOUJOURS AFFAIRE D’INTERPRÉTATION

L'interprétation  à travers les âges... 
Comme j'ai poursuivi cette semaine ma série d'articles autour des faits et des interprétations, voici comme vendredi dernier, des interprétations différentes de deux de mes chansons favorites.
A chaque fois, deux interprétations de leur créateur, l'une à l'origine de la chanson, l'autre récente, puis relue et revue par un autre...  








12 mai 2011

FAUT-IL PESER LA PEINTURE POUR ANALYSER UN TABLEAU ?

Comment faire un diagnostic complexe ?
L’équipe scientifique était en place et avait un double défi à relever : analyser un tableau de Van Gogh et une symphonie de Mozart.
Quelques heures plus tard, ils avaient terminé leur travail et purent nous délivrer les faits capables de tout savoir sur ces œuvres.
Concernant le tableau de Van Gogh :
  • L’analyse aux rayons X avait permis de donner toutes les caractéristiques de la toile utilisée. L’équipe avait ensuite, sur la base de ces éléments, reconstitué un morceau virtuel qui avait été joint au dossier.
  • Une étude chromatique fine avait montré que le peintre avait utilisé vingt-deux tubes différents. La quantité prise dans chaque tube avait aussi été précisée. On attendait les résultats d’une étude complémentaire pour connaître la date exacte de fabrication de chaque tube. Pour l’instant, elle n’était estimée qu’à cinq ans près.
  •  L’ordre dans lequel avaient été déposées les différentes couleurs, avait été reconstitué.
  • Le mouvement précis du pinceau restait lui inconnu. Le professeur chargé de l’évaluation demanda pourquoi cette lacune. Il ne fut pas satisfait par la réponse donnée.
  • Le temps de séchage de la peinture, ainsi que le comportement du vernis dans le temps avaient été modélisés.


Concernant la symphonie de Mozart :
  • Pour chaque instrument, a été précisé combien de temps il est utilisé. Cet élément a été introduit dans la base de données des fabricants, pour préciser le risque d’avoir une rupture à l’occasion d’une symphonie, ainsi que la fréquence recommandée pour les révisions pour des instruments qui ne joueraient que cette symphonie.
  • La quantité de décibels a été calculée tant en moyenne qu’en pointe. Pour cela, ont été modélisées plusieurs salles de concert, ainsi que plusieurs positions dans la salle.
  • Les fréquences émises ont été analysées, en tenant compte du temps d’émission et de la puissance du son émis. Un calcul statistique et la mise en œuvre de techniques de recherche opérationnelle mathématique sophistiquées ont permis de trouver toutes les corrélations entre fréquences, ainsi que le calcul de toutes les moyennes et écarts-types.

A l’issue de la présentation de ces résultats, une personne qui avait assisté sans avoir été invité, émit un jugement très critique sur ces deux analyses, en prétextant que l’équipe avait oublié de parler de la peinture de Van Gogh et la musique de Mozart. Elle n’avait visiblement pas été sensible à la pertinence de ce travail scientifique qui, pourtant, avait effectivement réunis tous les faits composant cette peinture et cette musique.
Cette anecdote, évidemment totalement imaginaire, ne vous rappelle-t-elle pas pourtant certains approches faites dans des diagnostics ?
Et si pour comprendre un tableau ou une symphonie, il fallait surtout le regarder ou l’écouter attentivement en faisant le vide ? Mais comment que veut dire développer l’attention et faire le vide ?
C’est ce sur quoi je reviendrai à partir de lundi prochain…

11 mai 2011

NE BOUGEZ PLUS, NE RESPIREZ PLUS, MERCI, C’EST TERMINÉ !

Un fait n’existe que dans une dynamique
Quand on analyse une entreprise, quel intérêt de savoir seulement ce qu’elle a fait un jour précis à un moment précis ? En quoi cela va-t-il permettre de mesurer sa performance et sa valeur ? Comment en déduire qu’elle mène la bonne stratégie et qu’elle a une chance de réussir à la mettre en œuvre ? Comment comprendre les relations sociales au travers d’une seule photographie ?
La situation à un moment donné ne fait sens que si on la met en perspective dans le temps, c’est-à-dire par rapport à son passé – ce qui s’est passé avant – et ses futurs possibles – ce qui risque d’advenir -, et ce avec toutes les prudences requises – il n’est pas si facile de connaître le passé, et le futur est largement incertain.
C’est une autre façon de revenir sur la notion de contexte, ou d’agencement pour reprendre l’expression de Gilles Deleuze : il s’agit maintenant d’un agencement temporel. Comment le fait observé s’agence-t-il par rapport à ce qui l’a précédé et ce qui peut lui succéder ?
Il s’agit donc de lire des courants et des dynamiques, et non plus de prendre des photographies statiques. Cette dynamique peut être immédiatement visible, si les mouvements sont rapides. Elle peut être plus subtile et cachée, s’ils sont plus lents et complexes. Ils n’en restent pas moins présents. Ainsi le Mont Blanc grandit-il à cause de l’épaisseur de glace. Et si on l’observe à l’échelle des millénaires, la hauteur de la partie rocheuse va fluctuer.
Reste ensuite à se poser la question de sa propre échelle temporelle, et donc du différentiel éventuel entre cette échelle et le rythme du mouvement. On peut alors conclure que l’on peut négliger le mouvement et que la hauteur du Mont Blanc est constante.
A moins que l’on se déplace soi-même comme l’objet, et qu’alors pour nous, il soit réellement immobile… pour nous…
Nous voilà donc prêts pour l’analyse et le diagnostic : nous savons distinguer les faits des opinions(1), nous ferons attention au contexte(2) et aux référentiels(3), et nous ferons des analyses dynamiques.
Mais avec tout cela, comment faire ? N’est-ce pas trop compliqué pour pouvoir être mis en œuvre ?
(à suivre)
(3) Voir « Marignan 1514 ? »

10 mai 2011

MARIGNAN 1514, MONT-BLANC 4810 M, 4+4=13 ?

Un fait est toujours lié à un ou des référentiels explicites ou implicites
Ludwig Wittgenstein dans Recherches Philosophiques, après avoir longuement expliqué pourquoi il est difficile d’être certain de quoi que ce soit et que rien n’est indépendant de celui qui fait l’observation et de celui qui la reçoit, conclut en écrivant : « Il serait étrange de dire : « La hauteur du mont Blanc dépend de la manière dont on le gravit. » ».
Ouf ! Il y aurait donc des faits absolus et certains… comme la hauteur du Mont Blanc qui est de 4807 m ou la date de la bataille de Marignan qui est 1515. Certes, certes…
Mais ne voilà-t-il pas que des géomètres expert nous annoncent une nouvelle hauteur de 4810,90 m. Il grandirait, car la glace y serait plus épaisse(1). Tiens, il y avait donc un élément de contexte oublié, un agencement, celui de la présence de la glace et donc de la variation possible de son épaisseur.
Donc une fois, la hauteur de la glace fixée, plus de problèmes ? Oui, mais quand on parle de 4807 m, il s’agit de 4807 m par rapport à quoi ? Par rapport au niveau de la mer. Donc si le niveau de la mer monte ou baisse, le Mont Blanc va être plus ou moins haut. Pourtant le Mont Blanc reste le même. Il n’y est pour rien si la mer monte ou descend – ou si peu ! –, donc le fait « Mont Blanc » reste le même fait. Par contre sa hauteur change, car une hauteur n’a aucun sens dans l’absolu. Elle doit toujours se mesurer par rapport à quelque chose. Donc, quand on dit que la hauteur du Mont Blanc est de 4807 m, on sous-entend par rapport au niveau de la mer.
Il y a une autre hypothèse qui est elle explicite : c’est l’unité de mesure, le mètre. Heureusement car en miles, le nombre qui exprime la hauteur du Mont Blanc est différent. Et pourtant le Mont Blanc n’est pas plus petit pour les anglais que pour les français ou les italiens…
Pour la bataille de Marignan, il y a aussi une référence, celle de la date de la naissance de Jésus Christ : la bataille a eu lieu en 1515 après Jésus Christ. Là encore comme pour la référence au niveau de la mer, elle est évidente pour tout le monde, donc on ne pense pas à la préciser. Oui, mais si nous nous rendions compte que Jésus Christ était né un an plus tard – il suffirait qu’il soit né avec une semaine de retard… –, alors on devrait dire Marignan 1514. Perturbant, non ? Même les dates ne sont plus des faits absolus…
Heureusement, il nous reste quelques certitudes intangibles comme 4+4 = 8.
Eh non, car 4+4 peut aussi être égal à 13… en base 5. Car derrière toute addition, il y a une référence implicite : le calcul est fait en base 10, c’est-à-dire que tout nombre s’exprime comme décomposé selon les puissances de 10 (ABC=Ax102+ Bx101+ Cx100…). Si maintenant j’exprime un nombre en base 5, la façon de l’écrire change et 8 devient 13 (= 1x5 + 3x50).
Tout cela est bien compliqué, surtout si l’on n’a pas fait beaucoup de mathématiques… c’est-à-dire si l’on ne maitrise pas le référentiel implicite.
Un peu désespérant, cette plongée dans les faits : plus j’avance, plus les faits m’échappent. Trier entre faits et opinions(2), ne pas analyser un fait hors de son contexte(3), et maintenant connaître les référentiels explicites et implicites.
Est-ce tout, cette fois ? Mais, peut-on parler d’un fait sans l’inscrire dans le temps, c’est-à-dire le mouvement ?
(à suivre)

9 mai 2011

LES FAITS BRUTS N’EXISTENT PAS !

Un fait sorti de son contexte n’est plus le même fait
« Sony vient de lancer un nouveau téléviseur ultra-plat. »
Levant la tête du dossier que j’étais en train de lire, je regardais le consultant qui venait de faire irruption dans mon bureau.
« Oui, et d’où tiens-tu cette information ?
- Je viens de le lire dans les Échos.
- Dans ce cas, la prochaine fois, dis-moi « je viens de lire dans les Échos que Sony lancerait un nouveau téléviseur », et non pas « Sony vient de lancer ». Ce n’est pas pareil. Et maintenant, va te renseigner pour savoir si l’information des Échos est exacte. »
Vous me trouvez trop pointilleux ? Non, n’est-ce-pas, car ce n’est pas la même information, le même « fait ». Quel est la différence entre les deux expressions ? La définition du contexte dans lequel s’inscrit l’information, ici en l’occurrence un journal.
Dans un article paru sur ce blog le 4 mars 2009, « Comment lire derrière les apparences », je donnais un extrait du livre, Le spectateur émancipé, dans lequel Jacques Rancière reprend le commentaire de Barthes sur la photographie d'un jeune homme menotté (cf. photo jointe). Cette photo est celle de Lewis Payne, condamné à mort en 1865 pour tentative d'assassinat du secrétaire d'État américain. Il y est menotté dans la prison, peu de temps avant son exécution.
Comment lire cette photo sans savoir de qui il s’agit ? Ou plus exactement avec ou sans ces éléments de contexte, la photo n’est pas là-même. Sans, on peut voir un jeune homme, au look plutôt contemporain, sombre et romantique. Avec, c’est celle d’un homme depuis longtemps disparu, pris au moment où il défiait la mort.
Un fait est indissociable de son contexte… ou plus exactement en est dépendant. Le même « fait » mis dans un contexte différent, n’est plus le même fait. Un fait doit donc être défini non pas indépendamment du cadre dans lequel il existe, mais avec ce cadre. Ou autrement dit, sortir un fait de son contexte est dangereux, car le fait cesse d’en être un.
Dans son Abécédaire, à la lettre D comme Désir, Gilles Deleuze dit : « Vous parlez abstraitement du désir, car vous extrayez un objet supposé être l’objet de votre désir. (…) Je ne désire pas une femme, je désire aussi un paysage qui est enveloppé dans une femme. (…)  Elle ne désire pas telle robe, tel chemisier dans l’abstrait. Elle le désire dans tout un contexte, qui est un contexte de vie, qu’elle va organiser. (…) Je ne désire jamais quelque chose tout seul, je ne désire pas non plus un ensemble, je désire dans un ensemble. (…)  Il n’y a pas de désir qui ne coule dans un agencement. (…) Désirer, c’est construire un agencement. » (voir la vidéo ci-dessous)
Eh bien, il en est des faits comme du désir, ils deviennent abstraits si on les extrait de leur contexte, si on ne les considère pas dans leur agencement.
Après avoir séparé les faits des opinions (1), nous voilà devant les maintenir dans leur agencement. Ciel, mais alors, les faits bruts n’existent pas !
Est-ce tout pour comprendre ce qui est un fait ? Et si on parlait de référentiels…
(à suivre)


6 mai 2011

EN MUSIQUE, TOUT EST AFFAIRE D’INTERPRÉTATION

D'une émotion à l'autre
Quoi de plus logique dans une série d'article consacrés à la question des faits et des interprétations, que de faire une pause en musique.
Je vous propose donc sur deux chansons françaises célèbres, de jouer au jeu des interprétations multiples...







5 mai 2011

"MERCI DE NE PAS CONFONDRE LES FAITS ET LES OPINIONS"

Attention à ne pas présenter ses jugements personnels comme des évidences certaines
« Donc, vous nous présentez une rénovation de votre shampooing. Très bien, je vous écoute. »
Le jeune chef de produit commença un peu tendu son exposé, ce n’était pas tous les jours qu’il avait l’occasion de parler en direct au Président du groupe. Tradition oblige, en effet, dans cette grande entreprise, toutes les projets significatifs, rénovation de produits existants comme nouveaux lancements, étaient présentés lors de grandes messes mensuelles réunissant, société par société, du chef de produit au président, ce avec tous les échelons intermédiaires.
« Bien, je me propose de vous expliquer pourquoi il est temps d’abandonner l’ingrédient de base de ce shampooing.
- Excusez-moi, l’interrompit le Président, cet ingrédient est bien celui qui est présent depuis l’origine, c’est-à-dire en 1946.
- Oui, tout à fait.
- Très bien, continuez. »
Le chef de produit déroula alors une succession de transparents montrant la baisse de la part de marché du shampooing. Il dit alors :
« Ainsi cet ingrédient est dépassé et il est temps de relancer ce shampooing avec une nouvelle formule. Celle-ci a été développée par les laboratoires et présente une modernisation très significative par rapport à la formule actuelle.
 - Bien, mais avant de parler d’une nouvelle formule, pouvez-vous me préciser pourquoi vous dites que l’ingrédient actuel est dépassé ? »
Le silence se fit dans toute la pièce. Il n’était en effet pas courant que le Président interrompe ainsi un exposé avant qu’il ne soit terminé.
« Comme je viens de le montrer, la part de marché baisse depuis plus de cinq ans continûment. Et il est clair que l’ingrédient qui était pertinent dans les années 50, 60 et 70 plombe maintenant ce shampooing, car il évoque la lourdeur, le gras. De plus, sa présence en suspension dans la formule n’est pas moderne.
- Avez-vous une étude qui vous permette de corréler la baisse de la part de marché à la présence de cet ingrédient ? Par ailleurs qu’est-ce qui vous amène à dire qu’il est dépassé et que le caractère trouble de la formule est un problème ? »
Le silence se fit encore un peu plus pesant. Le jeune chef de produit, cette fois définitivement nerveux, reprit ces explications précédentes, en essayant de les rendre plus convaincantes.
« Donc si je comprends bien, vous n’avez pas vraiment d’études montrant que l’ingrédient est dépassé. Vous avez simplement une série de données, dont essentiellement la baisse de marché, qui vous amènent à penser que l’ingrédient est dépassé et que la formule n’est pas moderne. Bref vous en êtes convaincu, mais ce n’est pas un fait démontré.
- En quelque sorte, Monsieur. Mais je m’occupe à temps plein de ce produit depuis plus d’un an…
- A l’avenir, jeune homme, je vous demanderai d’être plus rigoureux et de ne pas confondre les faits et les opinions. Vous n’avez aucun fait prouvant que l’ingrédient doit être remplacé, c’est simplement votre opinion. Je respecte évidemment votre opinion, et il est nécessaire que vous en ayez une. Simplement, ce qui n’est pas admissible, c’est de nous présenter votre opinion comme si elle était un fait. Comme votre opinion est toute relative et que cet ingrédient constitue l’identité de ce shampooing, je ne suis pas prêt de l’abandonner sur la base d’une opinion, même de plusieurs. Ce que je veux, ce sont des faits. Donc tant que vous n’aurez pas d’études montrant de façon irréfutable que cet ingrédient est dépassé, il n’y aura pas de changement sur ce point. Dossier suivant… »
Le shampooing ne fut pas rénové… et son problème ne fut pas non plus résolu, amenant sa disparition quelques années plus tard.
Cette anecdote tirée d’un cas réel met l’accent sur la distinction entre faits et opinions. Voilà donc les faits parés d’une valeur intrinsèque, c’est-à-dire non sujets à des opinions particulières.
Certes, certes, mais est-ce suffisant ? Peut-on facilement s’appuyer sur des faits certains et incontestables ? Peut-on avoir des faits sans contexte ?
Donc à nouveau, qu’est-ce qu’un fait ?
(à suivre... lundi prochain)

4 mai 2011

ATTENTION À NE PAS SE DÉCONNECTER DU RÉEL

Mieux comprendre les faits pour moins changer
Dans la conclusion de mon livre Neuromanagement, je mettais l’accent sur une qualité qui est indispensable pour diriger : Mesurer constamment la quantité de faits qui sous-tend les interprétations. J’y écrivais : 
« Dès qu’un individu se déconnecte du réel, dès qu’il n’intègre plus les faits nouveaux, ses interprétations dérivent. En l’absence de système sensoriel naturel, le risque de se déconnecter est encore plus grand pour une entreprise. Au dirigeant donc de challenger les interprétations, pousser chacun à préciser sur quelles hypothèses elles reposent, interdire de discuter des conclusions tant que l’analyse n’a pas été partagée. »
Pourquoi insistai-je alors sur ce point, pourquoi en reparler maintenant et le prolonger dans les jours qui viennent ?
Parce qu’il m’apparaît de plus en plus essentiel dans le monde de l’incertitude qui nous entoure : savoir revisiter constamment et dynamiquement tout ce qui sous-tend nos raisonnements.
Non pas pour faire du zapping, jeter son passé aux oubliettes et saisir le premier nouveau courant qui jaillit. Ce serait alors aller à l’encontre de tout ce que je recommande et sur lequel je suis revenu les jours derniers(1).
Non, c’est exactement le contraire :
  • C’est quand on ne passe pas assez de temps à trier entre faits et opinions, entre effets de mode et courants de fonds, que l’on construit des stratégies sur du sable, qui, bien loin de viser des mers, engagent l’entreprise dans une impasse… dont il va bien falloir sortir…
  • C’est quand on ne suit pas en permanence la vie des produits existants, quand on ne les actualise pas continûment en intégrant les modifications significatives issus de l’environnement, qu’on les laisse s’étioler et finalement disparaître…
  • C’est quand on se laisse guider par des humeurs, des points de vue ou des certitudes, que l’on est incapable de développer une confrontation constructive(2), et des convictions communes et que, du coup, les choix sont individuels, circonstanciels et donc constamment remis en cause…
Donc il faut revisiter constamment ce qui sous-tend nos raisonnements et, pour cela, « mesurer constamment la quantité de faits qui sous-tend les interprétations ».
Certes, mais qu’est-ce que c’est qu’un « fait » au juste ? Est-ce si évident à définir et donc à suivre ?
(à suivre)

(2) Sur la confrontation, j’ai écrit de nombreux articles. Pour tous les voir, suivez ce lien

3 mai 2011

« L’IDÉE MÊME DE DÉCIDER IMPLIQUE QU’IL Y AIT DE L’INCERTITUDE, SINON IL N’Y AURAIT RIEN À DÉCIDER »

Quand un général fait l’apologie du management dans l’incertitude
Début 2010, le général  Vincent Desportes, alors directeur général du Collège interarmées de défense(1), a fait une intervention sur « Manager dans l’incertitude ».
Il y a plus qu’une résonance entre mes propos sur ce thème et ceux tenus lors de cette intervention. De là à penser que l’armée serait l’école de management la plus moderne…
Pour en juger, en voici quelques extraits(2) :
« Par définition nous n’agissons qu’en situation de crise. Et notre seule certitude, c’est que nous intervenons toujours dans l’incertitude (…) Sachant que nous sommes confrontés à des variables multiples, d’où l’impossibilité de la prévision parfaite et l’incertitude permanente. Le rôle du chef est donc de décider dans l’incertitude, car l’idée même de décider implique qu’il y ait de l’incertitude, sinon il n’y aurait rien à décider. »
« Autre facteur d’incertitude: l’environnement. Tant il n’y a pas d’équation mathématique qui vaille à la guerre. Au contraire, c’est la règle du hasard, du désordre, du chaos. (…) Il doit donc agir en sachant qu’il ne peut pas tout savoir. Aussi faut-il agir selon des principes et non des prescriptions ; se concentrer sur l’essentiel ; concevoir des plans simples ; prendre des risques calculés et agir de manière pragmatique. »
« Pour agir avec efficacité malgré l’incertitude, il s’agit donc de faire confiance à l’homme. Mais pour qu’il puisse agir, il faut construire des systèmes adaptables. D’où la notion de commandement par la finalité ou commandement indirect. À savoir un commandement guidé par le sens de la mission et la liberté d’action. »
 « Quant aux grands principes de l’efficacité du commandement par la finalité, ils reposent sur l’unité dans l’effort (supposant une compréhension commune de l’intention et de la situation), l’intégration verticale (comprendre ce qui se fait au-dessus de soi au niveau hiérarchique) et horizontale; et enfin, la liberté d’action, ce qui suppose de la coopération (et non de la coordination), de la décentralisation (ne jamais donner un ordre qui pourrait être donné par un subordonné), de la délégation de responsabilité et l’allocation de ressources. »
« Soulignant les nécessaires confiance réciproque et compréhension mutuelle entre commandement et subordonnés, le général Desportes insiste également sur l’importance de la “communauté de pensée” pour assurer la cohérence des initiatives. »
(1) Elle a repris en janvier 2011 son nom historique d’École de guerre
(2) Un compte-rendu est disponible dans le Journal des directeurs d’hôpitaux : Manager dans l’incertitude

2 mai 2011

AGIR SANS DÉTRUIRE SON PASSÉ

Savoir être fidèle à sa vision, à ses choix et ce que l’on est
Comment ne pas détruire de la valeur en changeant, comment ne pas se lancer sans cesse dans des aventures aussi coûteuses qu’inutiles(1) ? Comment ne pas s’épuiser en suivant la dernière mode ou étant ballotté par les vagues de l’incertitude ?
1.       En construisant sa stratégie en partant du futur et en visant une mer :
A cette condition, la stratégie sera un point fixe, une référence à laquelle on pourra se référer pour évaluer les opportunités qui se présentent. Car comme je l’ai déjà écrit dans mon livre, les Mers de l’incertitude, et dans plusieurs articles (2), on choisit sa mer pour la vie : « La mer n’est donc pas un objectif que l’on se fixe pour les cinq ou dix ans à venir, c’est un horizon, situé à l’infini, qui va guider et apporter du sens aujourd’hui et demain : L’Oréal vise la beauté depuis les années 70, Air Liquide s’intéresse au gaz depuis plus de cent ans, et Google n’envisage pas de se centrer sur un autre thème que l’information. »(3).
2.       En consacrant une part importante de son énergie aux produits existants :
Il est toujours tentant d’oublier les produits existants pour ne se consacrer qu’aux nouveaux produits : l’attrait de la nouveauté face à l’ennui des terrains déjà connus et défrichés. Dans ce cas, ces produits vont disparaître, plus ou moins rapidement, soit sous la pression de la concurrence, soit par cannibalisation des nouveaux produits, soit par oubli des clients… et le plus souvent par une combinaison des trois.
Si vous croyez que c’est la vie, que les anciens produits sont là pour mourir, des entreprises pensent le contraire et c’est une des clés de leur succès :
  • Chez L’Oréal, 70% de l’énergie de l’entreprise est consacrée aux produits existants et à leur rénovation constante ; si un chef de produit se plaint que son produit est cannibalisé par un lancement, on lui rappellera vite, que ce que l’on attend de lui s’est de se battre pour défendre le sien, et non pas de chercher des explications pour justifier son déclin. Il est souvent plus difficile et moins gratifiant de trouver comment relancer Elsève, Elnett, Ambre solaire, Obao ou Narta que de créer une nouvelle marque…
  • Le succès d’Apple, ces dernières années, est certes due aux nouveaux lancements, mais aussi au fait qu’ils s’additionnent et que les produits lancés avant ne s’effondrent pas (voir le graphe ci-joint). Où en serait l’entreprise si l’iPhone avait détruit l’iPod, et l’Ipad le Mac…

(1) Voir mes articles de la semaine dernière, « Détruire de la valeur en changeant » et « J’innove, donc je suis »
(2) Voir notamment mon article paru dans ParisTech Review et repris dans les Échos : « Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude »
(3) Extrait des Mers de l’Incertitude